top of page

Partie 4 - Ivoire : comment fermer les portes du trafic ?

Dernière mise à jour : 15 mars 2023

Chaque année le trafic d’ivoire représente à lui seul près de 400 millions de dollars, au profit de la disparition des éléphants en Afrique. Fléau planétaire, ce trafic tend cependant à diminuer ces dernières années grâce à plusieurs moyens d’actions mis en œuvre par différents acteurs.


Le travail et la collaboration avec les locaux contribuent à la réduction du trafic ©IFAW


Chassés auparavant comme viande de brousse, certains individus ont vite compris l’intérêt pour eux de braconner les éléphants aussi pour leur ivoire. Face à une demande toujours importante, entre autre du marché asiatique, des réseaux criminels ont su se mettre en place pour tenir dans le temps. Pourtant, la disparition rapide des pachydermes aux grandes oreilles et à la peau lisse est l’une des plus grandes catastrophes à laquelle doit faire face l’humanité. Animal considéré comme essentiel pour l'écosystème, sa disparition pourrait entraîner un bouleversement de ce dernier. En effet, les éléphants qui sont avant tout des animaux migrateurs participent par exemple à la régénération de certaines plantes et arbres en dispersant des graines sur leur passage tout en étant une source de nourriture pour d’autres espèces en cassant notamment des branches pour ces dernières. Devant le risque de les voir disparaître, une course pour leur protection s’engage progressivement en Afrique.


L’ « hécatombe gabonaise », source d’un réveil des consciences gouvernementales


Le cadre semble idyllique aux premiers abords. Niché le long des côtes de l'océan Atlantique, le Gabon et ses paysages à couper le souffle avec les terres arides de sa savane et ses plages de sable blanc, est comme un coin de paradis perdu au milieu de nulle part. Du moins pas pour tous. Ici, le braconnage a décimé entre 2004 et 2014 plus de 25 000 pachydermes, « une hécatombe » pour l’UICN qui a vu les populations d’éléphants chuter de 80 % dans le pays.

Source d’une faune variée, la Gabon réunit en effet sur son territoire plus de la moitié des éléphants de forêt d’Afrique, soit plus de 40 000 individus. Alors qu’auparavant les braconniers n'agissaient pas encore sur ce territoire vaste de 267 000 kilomètres carrés, l’extermination des populations d’éléphants au Cameroun voisin les a ainsi incités à déplacer leurs agissements criminels. Le braconnage de cette espèce dans ce pays n’est en effet pas anodin. Il permet à la fois de répondre à la demande du marché asiatique sur lequel un kilo d’ivoire est revendu en moyenne 1 000 euros, mais aussi au financement de groupes armés comme l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) qui sévit à l’est du continent africain.


« Cette espèce animale est nécessaire à l'équilibre de l'écosystème et de la biodiversité ».

Melissa Liszewki - directrice du programme Community Engagement de l’IFAW.


Pour autant, le gouvernement gabonais ne reste pas les bras croisés face à ce fléau. Il a ainsi par exemple pris différentes mesures comme la mise en place d’un statut particulier de

« protection complète », la création d’une unité de police à Minkébé (situé au nord-ouest du Gabon) pour protéger un espace de plus de 7 000 kilomètres carrés, ou l’augmentation du nombre de gardes forestiers dans les treize parcs que compte le pays. Enfin, le Gabon a été le premier pays africain à mener une opération coup de poing en brûlant un stock d’ivoires saisis après l’arrestation de braconniers. En tout, 5 tonnes de cette substance osseuse étaient parties publiquement en fumée sous l'œil des caméras. Par ces gestes, le gouvernement réaffirme sa volonté d’enrayer ce phénomène qui cause la disparition de cette espèce animale pourtant

« nécessaire à l’équilibre de l’écosystème et de la biodiversité » selon Melissa Liszewki, directrice du programme Community Engagement de l’IFAW (Fonds international pour la protection des animaux).


Un ranger observant le bush africain (à gauche : ©Donal Boyd/IFAW) tandis qu'un homme en tenue militaire passe devant une montagne de défenses incendiées publiquement (à droite : ©Lifegate)


Une lueur d’espoir au milieu d’un trafic hors norme

Conscient de l’enjeu qui relève de la préservation des éléphants, un pays africain se distingue des autres : le Kenya. En effet, le pays fait office de bon élève en matière de lutte contre le braconnage. Et pour cause. En l'espace de 30 ans sa population d'éléphants a doublé, passant ainsi de 16 000 à 34 000 individus. Un résultat rendu possible uniquement grâce à l'investissement constant des gouvernements kényans et à une lutte sans merci contre ce fléau. Afin de parvenir à de tels résultats, le Kenya a souhaité marquer les esprits avec des mesures fortes. Et cela passe en premier lieu par le durcissement des lois du pays en matière de braconnage. Ainsi, alors qu’auparavant les braconniers risquaient une peine de 15 ans de prison pour leurs actes, depuis 2013 et une révision des lois kényanes, tout braconnier ou personne arrêtée en possession d’ivoire pour avoir participé à l’extermination d’une espèce menacée risque dorénavant la prison à vie. Considérée comme l’une des mesures les plus dissuasives pour empêcher les massacres de faune sauvage, la modification des lois et des sanctions est le moyen le plus plébiscité par les pays africains. C’est par exemple aussi le cas au Gabon où la peine relative au braconnage est passée de 3-6 mois en 2001 à 10 ans de prison en 2019. Une « mesure nécessaire » pour Lionel Hachemin, chargé de campagne à l'IFAW, afin de

« rendre le plus illégal possible ce genre d’actes pour diminuer l’offre et la demande ».


Outre le durcissement des sanctions, l’implication des communautés locales reste aussi l’un des moteurs de lutte le plus efficace pour parvenir à limiter au maximum le braconnage des éléphants. En effet, ces derniers connaissent mieux que quiconque le terrain sur lequel ils vivent et ont par conséquent un savoir différent des membres occidentaux d'organisations non- gouvernementales (ONG), « leur indigene knowledge » comme le précise Lionel Hachemin. Le but étant de pouvoir trouver des solutions avec ces communautés tout en les formant et en trouvant avec eux des solutions économiques durables. C’est par exemple le cas avec des programmes de formations d’anciens braconniers formés au métier de ranger (écogarde et garde communautaire).

Les femmes massaïs au secours des pachydermes


Femmes massaïs du programme de lutte anti-braconnage tenBoma ©REUTERS / Njeri Mwangi


Bien que des rangers soient formés aux techniques de lutte anti-braconnage, les moyens humains ne sont pas toujours suffisants compte tenu de la dureté de la mission. Les rangers font en effet face à des réseaux criminels extrêmement organisés qui disposent d'importantes ressources financières et techniques. C'est pourquoi les organismes internationaux tels que WWF ou IFAW, en plus de former les populations locales à la lutte anti-braconnage, leur fournissent aussi des moyens techniques pour les appuyer dans leur travail. Ainsi, le but de ces ONG n'est pas de leur faire ressentir la notion de « blancs colonisateurs » qui interviennent sans prendre en compte les personnes vivant sur place, leurs coutumes et leurs cultures.


« Une communauté est plus sûre lorsque tous veillent les uns sur les autres ».

Melissa Liszewki - directrice du programme Community Engagement de l’IFAW.


C'est donc dans cette optique que depuis 2015, au Kenya, a été mis en place par l'IFAW en partenariat avec le Kenya Wildlife Service le projet tenBoma, un programme anti-braconnage né grâce à la mise en commun de différents acteurs locaux et de leurs savoirs. « IFAW a eu l’idée de mettre en relation le savoir de différents acteurs, à savoir les écogardes des parcs nationaux, les populations locales, les autorités de police et renseignement, mais aussi des agents spécialisés dans le renseignement. Car, selon une philosophie locale, une communauté est plus sûre lorsque tous veillent les uns sur les autres » explique Melissa Liszewki. En tout, c’est une équipe d’écogardes composée de 80 hommes, et pour la première fois d’une unité de 8 femmes massaïs surnommées « Les Lionnes » qui ont pour objectif de protéger la faune sauvage du Ranch collectif Olgulului-Ololarashi dans le cadre du projet tenBoma. Ainsi, lorsque les locaux ou les écogardes formés à détecter les modes de fonctionnement de ces groupes criminels repèrent une activité suspecte, ces derniers n’ont plus qu’à faire remonter l’information aux autorités compétentes afin que ces données puissent permettre de retracer leurs modes opératoires.

Dans une politique où personne n'est laissé pour compte et où chacun s'implique, les résultats de cette lutte acharnée contre le braconnage semblent porter leurs fruits. En effet, en 2018, 35 braconniers et trafiquants d'espèces sauvages ont été arrêtés et aucune carcasse liée à du braconnage dans les zones délimitées par le projet tenBoma n’a été retrouvée depuis son instauration, laissant par la même occasion place à la naissance de 1 700 éléphants dans le parc national de Tsavo.

Une aubaine pour le pays dont le tourisme et ses safaris animaliers représentaient 1,61 milliards de dollars de l’économie locale en 2019.

Les abeilles comme première ligne de défense


Alors que le braconnage est effectué dans le but de substituer leurs défenses aux éléphants pour alimenter la demande sur le marché, un autre phénomène peut expliquer la décimation de près de 75 % des éléphants d’Afrique. Alors que la démographie africaine a augmenté de près de 49 % entre 1990 et 2019, dans le même temps l’espace naturel accordé à la faune sauvage diminue, entraînant ainsi de possibles problèmes de coexistence entre humains et éléphants. D’autant que, comme l’explique Lionel Hachemin « lors des périodes de sécheresse, il peut arriver qu’il n’y ait pas assez de nourriture au sein de l’aire protégée. Les éléphants peuvent alors s’aventurer auprès des communautés locales qui vivent aux alentours pour y manger leurs plantations » ce qui peut provoquer certains conflits puisque « des tirs peuvent rapidement avoir lieu et des éléphants sont ainsi tués ».

Pour faire face à ce problème, certains pays ont fait le choix d’installer des barrières électriques autour des villages dans lesquels ces géants d’Afrique sont susceptibles de se rendre. C’est le cas au Gabon où « ce choix a été fait pour les éloigner. Pourtant, ce n’est pas toujours la bonne solution puisque d’autres animaux sont susceptibles d’être tués par ces clôtures » rapporte Melissa Liszewki.


C’est pourquoi afin de pallier ce problème pouvant entraîner progressivement le déclin de ces populations, des barrières écologiques et naturelles peuvent être créées grâce à des ruches d’abeilles. En effet, l’éléphant étant un mammifère craignant ces insectes, le recours à ces derniers par les villageois des champs visités permet donc de les écarter naturellement sans avoir besoin de recourir à des armes. Par conséquent l’animal est préservé, tout comme l’Homme qui ne prend plus le risque d’être piétiné ou chargé par l’animal comme cela a pu être le cas dans le passé.


Clôture naturelle pour éloigner les éléphants créée à partir d'une ruche d'abeilles ©Jessica Van Fleteren

« C'est toujours bien d'avoir des communautés locales impliquées dans la lutte contre le braconnage ».

Lionel Hachemin - chargé de campagne à l'IFAW.


Suite à une expérience menée au parc national Kruger en Afrique du Sud et rapportée par la revue Current Biology en juillet 2018, 25 des 29 éléphants s’étant approchés des barrières naturelles formées par les abeilles « ont montré des signes typiques de vigilance accrue d’incertitude et se sont éloignés dans le calme ». Une autre expérience, The Beehive Fence, menée cette fois-ci dans trois régions du Kenya selon le même principe a vu un taux de 80 % de fuite des animaux à l’approche des ruches. D’autant que selon Lucy King, zoologiste et responsable du programme de coexistence homme-éléphant pour Save the Elephants « il s’agit là aussi d’une solution économique et durable pour les populations locales qui profitent de ces ruches pour produire du miel afin de le revendre, notamment sur les marchés ». Cette solution s’ajoute aux moyens d’action déjà mis en œuvre par les gouvernements pour préserver les populations d’éléphants.


Malgré le travail d’éducation et de sensibilisation avec les acteurs locaux sur place, certaines limites peuvent tout de même apparaître. « C’est toujours bien d’avoir des communautés locales impliquées dans la lutte contre le braconnage, mais ce n’est pas ça qui va empêcher le massacre malgré tout » estime Rens Ilgen de l’ONG Eagle Côte d’Ivoire car « les trafiquants trouvent toujours d’autres personnes pour aller tuer des éléphants dans les réserves ».


Quand le Covid-19 s’en mêle


Depuis l’arrivée du Covid-19 en janvier 2020, les cartes sont rebattues. La pandémie a en effet eu des répercussions dramatiques sur différents secteurs, dont le tourisme qui est l’une des principales sources financières pour nombre de pays. Pour des réserves qui misent ainsi sur la manne financière que sont les touristes pour financer leurs programmes de protection de la faune sauvage - dont la préservation des éléphants contre le trafic d’ivoire fait partie -, la crise sanitaire a eu des répercussions directes et ces dernières se retrouvent sans fonds.


Alors que les réserves administrées par les États trouvent encore des fonds pour survivre, les réserves privées qui sont quant à elles gérées par les communautés locales, n’ont plus assez d’argent pour s’en sortir. Cette situation est « un coup dur pour l’économie et tout le monde de manière générale. Des milliers de locaux comme les rangers se retrouvent au chômage sans plus aucun revenu » explique Rens Ilgen.


Une situation qui, si elle dure, pourrait avoir un effet néfaste sur les efforts déjà engagés dans cette lutte qu’est le trafic d’ivoire face à des groupes criminels déterminés. En effet, les milliers de personnes sans revenu du jour au lendemain, notamment dans le secteur du tourisme, pourraient être tentées d’avoir recours au braconnage face à une demande toujours importante, simplement dans l’optique de subvenir aux besoins de leur famille.


Eva Françoise et Kévin Comby

[couverture : ©IFAW]

Comments


© 2023 par Céto C'est Là. Créé avec Wix.com

bottom of page